La coupe est pleine. Vendredi 3 septembre, lors d’une assemblée générale extraordinaire, SOS Médecins a appelé à une journée nationale de mobilisation avec arrêt de l’ensemble de ses activités en réponse à son exclusion de l’avenant 9 à la convention médicale. Une mesure forte mais indispensable pour que les médecins de la fédération puissent obtenir les revalorisations sur la visite qu’ils demandent depuis plusieurs années, juge leur président, le Dr Jean-Christophe Masseron. Pour Egora, il revient sur le "mépris" qui l’a poussé à porter cette action, et sur les menaces qui pèsent sur les activités de SOS Médecins. Egora.fr : SOS Médecins a décidé de stopper ses activités lors d’une journée nationale de mobilisation, dont la date est gardée secrète pour le moment. Qu’est-ce qui a motivé votre décision ? Dr Jean-Christophe Masseron : Ça fait longtemps qu’on attend des revalorisations pour la visite à domicile puisque ça fait plus de quinze ans que sa rémunération n’a pas évolué. On revalorise de temps en temps les consultations – même si c’est loin d’être la panacée – mais la visite est toujours mise de côté. Il y avait donc déjà une lassitude dans nos rangs puisque cet acte représente une grosse part de notre activité, pour ne pas dire l’activité principale, au moins en temps passé. En journée, cela devient compliqué, compte-tenu de sa valeur, d’assurer cette visite à domicile et de trouver des médecins pour la faire. A chaque fois qu’on voit les ministres successifs, la DGOS, nos parlementaires, nos ARS, on demande ce qu’ils vont faire pour la visite… et il ne se passe rien. Là, pour une fois, on avait un avenant sur la table au mois de juillet qui prévoyait de revaloriser la visite. L’enveloppe pour la médecine générale n’était quasiment que réservée pour cet acte, donc on s’est dit que ça ne pouvait pas nous échapper totalement. On avait bien compris que quelque chose se passerait autour de la visite longue mais on pensait pouvoir négocier quelque chose pour ce que l’on fait nous, c’est-à-dire les visites non programmées et on n’a pas réussi à les convaincre. Pourtant on a alerté bien en amont. Olivier Véran est venu à notre Congrès en juin à Toulouse, il nous avait dit de ne pas nous inquiéter car il y avait un avenant sur la table pour la visite, qu’il nous soutenait. C’est vrai qu’il nous soutient publiquement, mais je pense qu’il a commis une erreur : il n’avait pas forcément la vision exacte du contenu de cet avenant. Ils ont l’air tous de dire qu’ils n’avaient pas mesuré que l’on serait complètement écartés, je n’en sais rien. Mais en tout cas, nous, on l’avait vu. On s’est senti un peu méprisés car nous n’avons pas été écoutés. Vous aviez pourtant demandé à être présents lors des discussions bilatérales… On avait compris que cet avenant n’allait pas révolutionner l’ensemble des visites avec une majoration de déplacement doublée. On sait bien que cela coûte plus cher que ce qui était prévu, mais au moins avoir pu discuter, trouver une option qui nous concernait. Effectivement, on a voulu aller à la signature de l’avenant et aux discussions bilatérales, les syndicats étaient favorables à nous inviter, mais ça a été bloqué. On pense que Thomas Fatôme ne voulait pas qu’on soit présents. On a pu négocier séparément avec les syndicats et un peu avec la Cnam, mais nous n’avons pas pu échanger et arbitrer. C’est un choix. C’est ce qui a fait monter la mayonnaise.
Vous demandez donc d’être intégrés aux bénéficiaires de l’avenant 9 pour obtenir une revalorisation de la visite longue (VL), accordée dans certaines conditions, uniquement pour les plus de 80 ans en ALD. S’agit-il cependant de votre cœur de métier ? Non. On voit tous les âges de la vie. En proportion, ça ne représente pas une majorité de nos actes : environ 20 à 30%. Je ne pense pas que ça aille beaucoup plus loin. Être intégrés à l’avenant 9 est donc plutôt de l’ordre du symbole… Exactement. Par souci d’équité, il est important que...
l’on soit traités comme nos confrères, mais ce ne sera pas un cheval de bataille pour nous. Ce n’est pas en nous donnant accès à la VL que tout va se régler car cela ne correspond pas à la réalité de ce que l’on fait [elle est par ailleurs plafonnée, NDLR]. La VL n’a pas été faite pour le ‘non programmé’, mais pour le suivi du patient chronique et la réévaluation du plan d’aide. Votre fédération suggère une revalorisation tarifaire en journée avec l’extension d’une cotation apparue lors de l’épidémie (VG+MD+MU) et aujourd’hui disparue. Pourquoi ? Aujourd’hui, on peut assurer la visite à domicile parce qu’on travaille 24h/24 et que, en moyenne, on arrive à avoir un acte moyen qui monte un peu. Nous sommes rémunérés presque exclusivement à l’acte, ce qui n’est plus le cas de nos confrères médecins traitants. On est dans une sphère très confidentielle : 1.300 médecins, ça ne pèse pas lourd par rapport à l’ensemble des généralistes. Il n’y a pas de régime de faveur pour nous. On est obligés de se débrouiller avec ce qui existe : l’acte. Mais étant donné qu’il ne bouge plus, ça nous met en difficulté. Un médecin SOS qui voudrait travailler seulement la journée ne pourrait pas gagner sa vie. On veut dire STOP aujourd’hui. On ne peut plus nous demander de faire les visites du Samu, les visites institutionnelles, les constats de décès, les gardes à vue, grâce à notre bonne volonté et uniquement par le fait que le lendemain on va travailler de nuit et ainsi gagner notre vie. On veut que le travail de jour soit reconnu à sa juste valeur.
Souhaiteriez-vous la mise en place de forfaits pour rémunérer votre activité ? C’est une option pour nous. Avec les CPTS, les services d’accès aux soins (SAS), etc., on voit une volonté publique d’organiser le système et de créer du lien entre les professionnels. Je ne suis pas du tout opposé à ça. S’il pouvait y avoir des forfaits redirigés vers nous parce que l’on fait de la régulation médicale au téléphone et qu’on est capable de mettre à disposition des médecins qui se déplacent rapidement chez le patient en fonction du degré d’urgence, ça pourrait nous intéresser. J’ai moi-même fait une demande en ce sens à mon ARS, à Chambéry. Il n’y a pas à tout prix besoin que ce soit une revalorisation de l’acte, mais il faut quelque chose qui reconnaisse notre travail. Comment voyez-vous la généralisation du SAS sur l’ensemble du territoire ? Est-ce une menace pour vos activités ? On a déjà 21 de nos associations qui sont dans les 22 sites pilotes. On est déjà intégrés dans ces expérimentations. On a donné notre accord de principe dès le début. Et on a même été l’un des moteurs. On ne voit pas ce dispositif comme une concurrence car en ville, et partout où nous sommes (en milieu urbain et semi-rural), les médecins traitants font peu de...
soins non programmés et ne feront pas de la visite non programmée. Tout ce que l’on fait aujourd’hui, ça s’appelle déjà du SAS finalement. Ce n’est rien d’autre que ce que l’on fait déjà. Il est donc naturel que l’on soit intégrés. On ne pense pas que nos collègues installés vont subitement se mettre à faire beaucoup d’urgences : ils sont déjà en situation de surcharge. Ce que l’on ne veut pas en revanche, c’est être inféodés au Samu indirectement par le SAS. Si demain les régulations des Samu - devenant Samu SAS - nous disent comment on doit travailler, et quels appels on doit effectuer, ça nous gêne. Car il y a une partie du SAS qui ne passe pas par le 15 : tous les appels qui nous arrivent en direct. Et c’est exactement le même travail. On demande que nos appels propres puissent être considérés aussi comme des soins non programmés, de la même manière que s’ils passaient par le SAS. Il ne doit pas y avoir de distinguo entre ce qui vient de l’hôpital et ce qui vient de nos centres d’appels. Et ça, c’est un peu compliqué. Avez-vous déjà vu des retombées à la suite de l’annonce de votre journée de mobilisation, qui pourra par ailleurs être renouvelable si vous n’êtes pas entendus ? On a un espace de dialogue qui s’ouvre avec la Cnam à la fin du mois de septembre. Ce n’est pas Thomas Fatôme qui nous invite, mais je pense qu’il a demandé qu’on puisse être reçus. On va accepter ce rendez-vous, mais, pour nous, c’est simplement une ouverture. On voit qu’il y a un intérêt par rapport à ce que l’on déclenche. Mais pour l’instant, on n’a aucune promesse particulière. Certains syndicats reviennent vers nous, et sont d’accord avec ce que l’on défend. Certains ont pris des positions publiquement. On a des soutiens de principe et il est possible que si un mouvement se déclenche, il agrège nos confrères généralistes et que cela devienne un mouvement commun. Ça n’a pas été pensé comme ça mais les médecins traitants peuvent eux aussi avoir besoin des cotations que l’on propose [VG+MD+MU, NDLR]. Sans cela, craignez-vous de voir vos rangs se réduire ? Ça peut être parfois compliqué de remplir un tableau de garde. Les confrères voient bien qu’entre faire une journée de visites à domicile, ou faire une journée de régulation au Samu, ce sont pas du tout les mêmes conditions de rémunération et, parfois, ils sont plus encouragés à réguler au téléphone. La concurrence on peut la créer tout seul en diversifiant nos activités, mais ça créé déjà des déséquilibres. A nous de faire en sorte que cela soit équitable entre les uns et les autres. Le problème, ce sont les cabinets à horaires élargis dans les grandes villes où on fait du soin non programmé avec un minimum de plateau technique, mais pas de visites à domicile. On peut là aussi avoir une fuite de nos médecins vers ce type de structures parce que c’est plus confortable, qu’il y a moins de stress, d’aléas liés à la circulation, etc. Ça peut attirer. Sans parler d’autres éléments financiers qui peuvent peser dans la balance. Ça peut donc être difficile de mettre des médecins dans des voitures pour aller chez les gens et c’est préoccupant. Mais pour l’instant, il n’y a pas d’endroit où SOS n’est pas présent la nuit parce qu’on n’a pas trouvé de médecin de garde.
Globalement, vous sentez-vous menacés ? C’est notre activité qui l’est, pas nous, car nous sommes adaptables, on peut faire évoluer notre mode d’exercice à tout moment si on sent que les pouvoirs publics ne défendent plus notre activité première. Si la visite doit disparaître, on ne pourra malheureusement rien faire contre. Il y a déjà des dispositifs, comme les Pasi (points d’accueil pour soins immédiats) qui ressemblent beaucoup à ce que l’on fait, qui ont été créés. Si c’est ça qu’on veut faire de nous, on saura le faire, mais on devra délaisser la visite et ça ne nous plaît pas car on connaît l’intérêt. C’est vraiment du militantisme, de la conviction, pas de l’intérêt financier. Intellectuellement, c’est riche, et c’est bien sûr très utile. C’est un vrai besoin, on sait ce que cela apporte et on ne veut pas le laisser filer. Mais on n’a pas toutes les cartes en main.
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